Neuvième Atelier du Dimanche

La marque de fabrique de Marion Thiba : une présence, la chair d’une voix, une façon subtile et parfois impertinente de relancer sans s’imposer.

Marion Thiba découvre à 15 ans la poésie sonore expérimentale avec Jean-Jacques Palix, arrangeur sonore et compositeur (Radio France, puis Radio Nova). Après des études de lettres à la Sorbonne, elle débute en 1981 à France Culture dans des émissions en direct (« il m’a fallu cinq ans pour devenir totalement présente en direct ») puis pendant dix ans de grands documentaires d’été, cinq heures d’affilée, sur « la «parole ouvrière », « les typographes », « les cheminots », la Marine marchande, les gens de maison, etc. « L’essentiel du travail, c’est avant le tournage », en préparation.

Marion Thiba se définit comme « stricte, austère » avec un grand sourire, et l’on n’est pas obligé de la prendre au mot. La clef du plaisir, pour elle consiste à travailler sur des sujets choisis avec les chargés de réalisation et justement, elle est accompagnée de Christine Robert, qui oeuvre à la réalisation de « Sur les docks » (France Culture).

ECOUTES

1) 1991 : Edmond Baranski, le haut-fourniste du Nord (réal Annie Flavell) 13
min 30 sec
« On y est ou on n’y est pas ! il faut être courageux », explique Raymond Baranski, médaillé du travail entré en 1959 à Usinor, aux hauts fourneaux, véritable visage de la sidérurgie. L’ancien ouvrier exprime la fierté et les valeurs ouvrières – la solidarité, le respect des collègues – et dit « l’habillement » du fondeur – guêtres et grand manteau -, le danger aussi, le rapport au feu qui risque de « mordre »…
Son épouse ensuite prend la parole, « c’est le bagne, lâche-t-elle, de se crever comme ça tous les jours » : pas de vie de famille, le travail avant tout, et la peur de l’accident, « tout ce qu’on a ici, c’est la sueur de son front, pour un employeur ingrat… », conclut-elle.
« Ce qu’on entend dans cet extrait, long plan-séquence, explique Marion Thiba, c’est que l’on est dans une pièce surchargée d’objets, où le récit est interrompu soudain par le coucou de l’horloge. Une vraie bénédiction ! »

2) 1997 : Anna, la bonne de curé, 8 min
(« Les servantes de l’église », réal. Christine Robert).
Anne est ukrainienne, sa fierté est que l’église soit propre comme un sou neuf, elle y parle à voix haute car elle s’y sent comme chez elle dans ce lieu où elle vient prier en dehors de son service. « Là, se souvient Marion, on entend bien l’entrée dans l’église – c’est Anne qui ouvre la porte pendant que le curé fait la sieste – et il faut noter le long travelling sonore ».

3) 1990 : Eloge du plan séquence par Raymond Depardon, 8 min 10 sec
(Les mardis du cinéma », réal Claude Giovanetti).
Depardon évoque ses rapports respectifs avec le cinéma et la photo, son sentiment d’être « tiraillé entre les deux, qui exigent bien autre chose que la virtuosité. Car il s’agit de révéler une certaine beauté dans ce qui est familier, qu’il « y ait de la joie malgré la douleur ». et la quête du plan-séquence, qui ne triche pas, un petit moment de vie qui a voir avec l’engagement politique.
La réalisation superpose la voix de Depardon en direct à sa voix enregistrée, ménageant ainsi l’apparition de la dimension temporelle…

4) 1993 : Le rugby, le rebond, l’envolée in « le Mystère de la balle ovale »
(réal Christine Robert, mixage Yann Paranthoën) 5 min 45 sec
Illustration de la fantaisie intrinsèque du rugby, ce jeu où l’inattendu, la poésie ont leur place comme dans un grand roman. Sur une valse de Nino Rota. « Quand les hommes s’entendent bien ils se passent bien le ballon.
Une émission-culte.

5) 1998 : L’ouverture de la Marine marchande
(réal Christine Robert) 10 min 45 sec
Corne de brume, embruns, chanson de Brassens, moteur de bateau, « il était un petit navire » chanté par une voix d’enfant, cris des mouettes, voix de Michael Lonsdale : un montage touffu que renie aujourd’hui Christine Robert.
6) 1996 : Ouverture du Vietnam : sur la route du delta du fleuve Rouge (réal. : Medhi El Hadj) 14 min 40 sec

Marion Thiba enregistre sa grand-mère, centenaire vacillante qui évoque sa jeunesse indochinoise. Entre la France et le Vietnam s’écrit l’histoire d’une famille entre deux pays. Le documentaire le plus personnel de Marion Thiba

Compte rendu de Claire Hauter