« J’ai commencé à travailler à la radio par hasard, dès mon retour en Australie après un séjour de sept ans à Strasbourg où j’ai fait une thèse en littérature française… Je me destinais à l’enseignement universitaire. Mais il n’y avait pas de poste libre à l’université à l’époque et, par toute une série de hasards et de chances, j’ai atterri à l’Australian Broadcasting Corporation. Et c’est là (curieusement) que j’ai découvert le travail de l’Atelier de création radiophonique, et ceux des documentaristes et des réalisateurs de Hörspiel allemands (et autres)… Et que j’ai eu envie d’apprendre à écrire sur le vent. » Kaye Mortley est documentariste indépendante depuis 1981. Elle travaille pour de nombreuses radios, en France, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Allemagne, en Finlande… Elle a beaucoup travaillé pour l’Atelier de création radiophonique, sur France Culture, et a été primée dans de nombreux festivals internationaux comme le prix Futura de Berlin (1979, 1983, 1985, 1991), le prix Europa (1998, 2001), le Prix Italia (2005) ou encore le grand prix de l’Irab (2006). Depuis 1989, elle dirige l’atelier « documentaire de création » pour Phonurgia Nova. Parmi ses œuvres, on peut citer : « C’est au printemps qu’on moissonne les moutons » ; « Exilio » ; « Thèbes la ville fauve/ville noire : the road movie » (une version d’Antigone) ; « Là-haut le Struthof » ; « Une famille à Mantes-la-Jolie » ; « Dans la rue »… Elle travaille à présent sur un projet qui raconte un lieu, un moment de l’histoire, une famille… la sienne en l’occurrence, mais qui pourrait être celle de beaucoup d’autres personnes. (Ce projet, qui est est une coproduction DeutschlandRadio/WDR, a bénéficié d’une aide de la Scam.) Kaye Mortley était l’invitée de l’Association pour le développement du documentaire radiophonique, le lundi 17 mai 2010, pour une rencontre/écoute à la galerie La réserve Area (50, rue d’Hauteville, Paris 10e). Elle y était présentée et interrogée par Laurence Courtois et Michel Créïs, membres d’Addor. Vous pouvez réécouter ici l’enregistrement de cette soirée (durée 1h58), grâce au travail sonore de Michel Créïs et Alain Joubert : « Ce qui m’intéresse dans le documentaire radiophonique c’est : Tenter – à partir du son réel – de construire quelque chose qui s’approche (faute d’un meilleur terme) de la fiction. Une écriture spécifiquement sonore… Quelque chose qui, tout en puisant sa matière première dans le même univers sonore que le reportage, questionne et transmet le réel environnant d’une autre façon. Quelque chose qui se refuse à une transcription précise sur papier (ce n’est pas sa vocation), la syntaxe et le vocabulaire de ce langage n’étant pas traduisibles par l’outil-langage dont nous nous servons pour communiquer dans la vie quotidienne. La recherche de la forme (d’une ou de la façon de dire) appropriée à un sujet donné me semble, donc, très importante. Non pas en tant qu’exercice de style. Encore moins en tant qu’effet décoratif. Mais parce que cela implique d’autres façons d’aborder le monde, de l’entendre, de le faire entendre, de le dire. Des façons qui n’existent que par le son. C’est le réel qui m’intéresse plus que les produits de l’imaginaire qui en ressortent. Et, dans ce domaine documentaire, les “sujets” restent relativement constants. Il s’agit presque d’archétypes, assez abstraits : la vie, l’amour, la mort, l’oubli et le souvenir. Il n’y a vraiment que le détail et l’incarnation qui changent dans la grande fresque humaine où le documentariste puise ses sujets. Le détail, et la forme, ou la mise en forme : c’est-à-dire la façon de communiquer tous ces détails (informatifs, émouvants, ordinaires, attendus, inattendus, rares…) qui constituent ce que l’on nomme “un sujet”, “une histoire”. Si je regarde, par exemple, la liste de mes productions, les sujets (terme que je n’aime pas énormément parce qu’il me semble réducteur) semblent toujours appartenir à plusieurs catégories générales : altérité, amour, exclusion, déplacement, errance, lecture du paysage, récit de l’instant présent, mémoire… Les protagonistes sont nombreux, ils viennent de beaucoup de pays différents, ils sont jeunes ou moins jeunes, ils sont cultivés ou pas, plus ou moins riches, plus ou moins heureux… Mais au cœur de leur histoire se trouvent presque toujours une ou plusieurs de ces constantes “thématiques”, ou existentielles. Ce qui change est moins l’histoire elle-même que la façon dont elle se raconte. Ce que j’essaie de faire c’est : à partir d’une matière recueillie, tisser un récit de vie qui sera “pris” dans un univers sonore aussi signifiant (et il peut être fait de silence) que le fil narratif (qui peut être fait de bribes et de balbutiements). J’essaie de faire fonctionner le tout un peu comme un film (sonore), avec des scènes, des couleurs, des clairs-obscurs, des perspectives, des mouvements, des personnages, des voix et des voix off… Autrement dit : la même importance sémantique est accordée au son que celle qu’on accorde à l’image au cinéma. Une histoire est racontée, autant par le son que par la parole. Le type de narration sonore étant déterminé autant par la matière elle-même, que par les sensibilités esthétiques et autres de l’auteur… et, aussi, de l’auditeur qui est invité à rentrer dans l’univers proposé et à participer à sa création. » Les photos ont été prises à Stuart Town, hameau minuscule à 400 km à l’ouest de Sydney, d’où vient la famille paternelle de Kaye Mortley. |